by Steward Muhindo KalyamughumaAugust 10, 2023
Read this article in English here (translation by Ange Akemani).
« Avec une bonne planification, des montages financiers bien maîtrisés et une bonne organisation des chantiers à travers le pays, nous sommes capables de construire plus de 5000 kilomètres de routes modernes au cours des cinq prochaines années » déclarait Felix Antoine Tshisekedi le 2 mars 2019, près de 40 jours après sa prise de pouvoir en remplacement de Joseph Kabila.
Cette promesse s’ajoutait à plusieurs autres tenues pendant la campagne électorale pour redresser la République Démocratique du Congo (RDC), un pays potentiellement riche mais dont les citoyens sont majoritairement confrontés à l’insécurité, la pauvreté et les difficultés d’accès aux services sociaux de base comme l’école, l’eau, les soins de santé, l’électricité, etc.
Au Congo, les promesses de changement sont fréquentes dans le discours des hommes politiques comme Felix Antoine Tshisekedi. Bien avant le chef de l’Etat Congolais actuel, son prédécesseur Joseph Kabila s’était fait élire en 2006 et 2011 sur base des programmes alléchants et promoteurs mais très peu visibles dans le vécu quotidien des populations Congolaises.
La responsabilisation du gouvernement est un idéal complexe à atteindre en tant que mouvement non-violent. L'opinion publique et le récit public sont essentiels, tout comme les données. C'est pourquoi un mouvement non-violent congolais, LUCHA, a commencé à publier en 2019 un rapport annuel compilant des mesures pour documenter les promesses que les politiciens font—et ne tiennent pas—au peuple congolais.
Le mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA) a été fondé en 2012 par de jeunes Congolais révoltés par la situation dramatique de leur pays. La LUCHA s’était donné pour objectifs de militer de manière non-violente afin de rendre les citoyens plus exigeants et les détenteurs du pouvoir plus responsables et redevables.
En 11 ans de lutte, le mouvement créé à Goma (Nord-Kivu) s’est étendu à une cinquantaine de villes du pays et son influence sociale et politique n’a cessé de croître. Après avoir lutté vaillamment pour le départ de Joseph Kabila, qui voulait se maintenir au pouvoir en violation de la constitution, la LUCHA s'est engagée à confronter les « élus » à leurs promesses et engagements politiques.
Un des outils utilisés pour ce fait est ce que l’on appelle la Fatshimétrie, lancée le 31 janvier 2019, une semaine après l’accession de Felix Tshisekedi au pouvoir. La Fatshimétrie est un baromètre d’évaluation du niveau de réalisation des engagements pris et des promesses faites par le chef de l’Etat Felix Antoine Tshisekedi pour redresser la RDC. Le concept de la Fatshimétrie est un mélange de Fatshi qui est un abrégé des initiaux des noms Felix Antoine Tshisekedi et de métrie qui fait référence à la mesure.
L’idée de mettre en place la campagne Fatshimétrie a émergé dans un contexte politique particulier en janvier 2019. Alors que la commission électorale nationale indépendante avait déclaré Felix Antoine Tshisekedi comme vainqueur de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, plusieurs analystes, observateurs crédibles et les fuites des serveurs de la commission électorale elle-même avait conclu le contraire.
Le concept a été proposé par le camarade Bienvenu Matumo, diplômé de l'École nationale d'administration de la RDC et chercheur en sciences sociales à l'Université de Paris 8 en France. Inspiré du Mali-Mètre au Mali, le terme Fatshimétrie est né d'une discussion avec deux journalistes congolais à Paris, m'a dit Matumo.
Dans le cadre de la campagne Fatshimétrie, LUCHA publie des rapports thématiques périodiques sur la gouvernance du pays, en référence aux engagements et promesses de l'administration Tshisekedi. Basés sur des données avérées et appuyés par une méthodologie rigoureuse, les rapports de Fatshimétrie ont l'avantage de révéler les ressenties populaires au-delà de toute partialité. Ils permettent de montrer l'écart malheureusement énorme entre les promesses faites et les mesures de gouvernance réellement mise en oeuvre par l'administration Tshisekedi. Fatshimétrie comble ainsi le vide informationnel que les politiciens exploitent facilement pour tromper et diviser le peuple.
Comme on peut l'imaginer, les rapports de Fatshimétrie stimulent le débat public sur la gouvernance et poussent les autorités publiques à présenter leurs actions et ainsi rendre des comptes aux citoyens. Le dernier rapport de Fatshimétrie 2022 : La RDC s'enfonce sous Félix Tshisekedi n'a pas fait exception. Il a montre que la situation générale de la RDC continue de se dégrader sous la direction de Tshisekedi. Il a notamment donné lieu à une attention médiatique importante et des critiques virulentes des partisans du pouvoir en place qui ont sans doute en cœur les élections de décembre 2023.
Cependant, la plus grande réussite de la Fatshimétrie est le fait que ce concept est désormais un cri populaire non-partisan pour exprimer dans quelle mesure l’administration Tshisekedi tient les promesses faites et respecte les engagements politiques pris. Le hashtag #Fatshimétrie sur Twitter et Facebook permet notamment de visualiser à quel point les Congolais se sont appropriés cette campagne. Dans une jeune démocratie comme la RDC, pouvoir mobiliser les citoyens à exiger des comptes aux dirigeants contribue à stimuler la bonne gouvernance.
Fatshimétrie n'a pas été facile à mettre en œuvre pour LUCHA vu le travail technique de recherche, de rédaction et de coordination nécessaires pour rendre publics les rapports. Au sein de LUCHA, nous avons plusieurs groupes de travail, dont un consacré à la préparation du rapport chaque année. Au sein du groupe de travail, nous travaillons en binôme pour compiler et analyser chacun des données sur un thème spécifique, comme la sécurité ou le développement. La collecte des données se fait petit à petit tout au long de l'année.
Nous disposons de deux sources principales de données. La première est constituée par nos chercheurs de terrain formés, qui se trouvent dans différentes régions du pays. Le deuxième type de source comprend les rapports des ONG (comme Human Rights Watch) et les données officielles du gouvernement. En RDC, nous avons le droit à l'information et il est généralement possible d'obtenir des statistiques officielles sur les thèmes qui nous concernent. Les fonctionnaires sont généralement réceptifs à nos demandes de données ; ils sont enclins à faire de leur mieux pour nous aider.
Néanmoins, nous rencontrons quelques obstacles dans notre groupe de travail. Idéalement, nous aurions plus de formation, en particulier pour réaliser les recherches sur le terrain. En outre, tout le travail est basé sur le bénévolat et implique une grande coordination.
Néanmoins, cette première expérience de la campagne menée par la LUCHA a permis de mettre en lumière les promesses non réalisées et les engagements non respectés par les responsables politiques. Elle est de ce fait un instrument important pour lutter contre la démagogie qui est très répandue en RDC et dans beaucoup d’états africains. De surcroît, le travail d'équipe nécessaire à la production de chaque rapport renforce l'unité du mouvement et, tout simplement, nous donne une raison d'être fiers.
Mais le changement au Congo et la lutte contre la démagogie nécessite bien plus que des rapports. C’est aux citoyens congolais de se mobiliser pour faire échec et sanctionner les acteurs politiques démagogues. La réussite modeste de la Fatshimétrie peut servir comme socle sur lequel construire notre résistance non-violente, surtout avec les éléctions de décembre 2023 en vue comme opportunité stratégique à saisir.
Steward Muhindo Kalyamughuma is a Congolese activist with the nonviolent, non-partisan citizen movement LUCHA (Lutte pour le Changement, Struggle for Change), and a researcher on human rights and armed conflict at the Centre de Recherche sur l’Environnement, la Démocratie et les Droits de l’Homme (CREDDHO).
Steward Muhindo Kalyamughuma est activiste Congolais du mouvement citoyen non-violent et non-partisan LUCHA (Lutte pour le Changement) et chercheur sur les droits humains et les conflits armés au Centre de Recherche sur l’Environnement, la Démocratie et les droits de l’Homme (CREDDHO).
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