by Charlotte SeccoFebruary 15, 2022
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Dans le cadre de mes recherches de Master en France, j'ai étudié et participé à deux différents mouvements non-violents pour le climat : Alternatiba et Extinction Rebellion. Mes recherches se sont nourries de la littérature scientifique existante, mais ont également conduit à quelques surprises sur la façon dont les gens considèrent l'action non-violente en France.
Alternatiba et ANV-COP21 sont deux mouvements citoyens nés en 2013 et 2015 dont l'objectif est de relever le défi climatique par un mouvement de masse populaire et non-violent. Les militants d'Alternatiba et d'ANV-COP21 se sont notamment fait connaître en retirant les portraits présidentiels des mairies de toute la France, portraits qui apparaissent régulièrement lors de diverses manifestations pour souligner l'inaction présidentielle. Extinction Rebellion est un mouvement citoyen de désobéissance civile né au Royaume-Uni en 2018 et dont les cellules surgissent partout dans le monde depuis. Avec 4 revendications et 10 principes, ils organisent régulièrement des campagnes anti-pub et des blocages contre les industries polluantes, comme le blocage de la cimenterie Lafarge.
Le choix de l'action non-violente direct pour lutter contre l’urgence climatique n’est pas anodin. Les activistes estiment que la gestion politique de la crise environnementale est inadéquate pour répondre à leurs demandes. Pour se faire entendre, ils ont opté pour une stratégie non-violente même si certaines de leurs actions prêtent au débat. C’est le cas des actions de sabotage : la dégradation matérielle est-elle violente ou non-violente ? Ces actions sont en tout cas à distinguer du vandalisme, car c'est un geste politique revendiqué et fait à visage découvert.
Dans le cadre de ma recherche, j’ai constaté que le milieu académique français (et plus largement le public français) porte peu d’intérêt et partagent une incompréhension générale de ce qu'est la lutte non-violente et de la manière dont elle façonne la politique. C'est ce que certaines personnes de mon entourage ont commencé à appeler "le paradoxe français" : les Français sont connus dans le monde entier pour leurs marches massives sur les places de la République et de la Bastille à Paris, leurs grèves paralysantes de plusieurs semaines dans les transports publics, leurs syndicats d'enseignants extrêmement actifs et puissants... et pourtant, la stratégie non-violente comme force politique est peu étudiée dans les universités. De leur côté, les politiciens vont plus souvent pointer du doigt les actions violentes qui peuvent se produire plutôt que de voir ses aspects non-violents.
La « non-violence » est perçue par différents acteurs comme une forme de pacifisme à la limite de la naïveté. C'est là qu'intervient le paradoxe français : Depuis des siècles, les Français s'engagent dans des actions non-violentes pour les droits, la justice et la liberté, mais la recherche sur l'action non-violente n'est pratiquement pas financée. Elle ne figure tout simplement pas à l'ordre du jour des universités ou des politiques, malgré son omniprésence dans notre vie quotidienne.
Comme nous sommes fiers d'événements tels que la Révolution française, nous devrions également en apprendre davantage sur les mouvements non-violents qui méritent plus d'attention qu'ils n'en reçoivent, en raison de leurs progrès révolutionnaires pour l'humanité (contre l'esclavage, pour de meilleures conditions de travail, et bien plus encore). Peut-être plus important encore, ils méritent plus d'attention en raison de ce que nous pouvons apprendre d'eux sur la coexistence—durable et en paix—sur cette planète, et dans des sociétés qui incarnent nos vertus de vérité et de justice.
Alternatiba et Extinction Rebellion expérimentent de nouvelles formes d'organisation collective : des processus décisionnels non hiérarchiques qui reposent sur le consensus, qui sont la définition même de l'inclusivité. Ainsi, leur mobilisation n'est pas seulement revendicative mais également représentative des changements que les militants souhaitent voir se produire dans la société : une société non-violente, horizontale et respectueuse du vivant. L'essence de ces mouvements réside donc dans l'articulation "force d'opposition - source de proposition". Ils luttent contre un système tout en incarnant les solutions qu'ils s'efforcent d'avancer.
Cela m'amène à m'interroger : Que se passerait-il dans une société où les enfants seraient sensibilisés dès leur plus jeune âge à la révolution non-violente ?
Que l'action non-violente ne fasse pas l'unanimité au sein de l'opinion publique et du monde universitaire français n'est pas un problème pour moi, au contraire. Le débat permet de prendre du recul et de remettre sans cesse en question cette pratique, de l'améliorer. Cependant, je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que l'action non-violente est au service de l'Etat. L'action non-violente a le mérite de permettre à chaque citoyen, indépendamment de ses capacités physiques, de son sexe, de son âge, etc. de faire pression par le biais d'une participation collective. Le caractère inclusif de l'action non-violente est un atout majeur qui ne doit pas être minimisé.
Il serait exagéré de dire que personne ne s'intéresse à ce sujet en France. J'ai eu l'occasion de travailler pour l'Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits, le Comité d'intervention civile de paix, l’association Non-violence XXI et la revue Alternatives non-violentes. Ce sont toutes des structures qui méritent plus de visibilité... et plus de ressources. J'ai eu l'occasion de travailler sur deux projets pédagogiques liés à l'action non-violente : un diplôme universitaire sur l'intervention civile de paix et un cours sur l'analyse des conflits où j'ai dirigé un groupe d'étudiants chargé de traduire en français la Global Nonviolent Action Database du Swarthmore College.
À mon avis, il est dans l'intérêt des universités de poursuivre de telles collaborations. Mais que pouvons-nous faire, nous, universitaires, étudiants et professeurs, pour faire avancer cette priorité de recherche ? Nous pouvons établir un réseau avec les professeurs des pays où l'action non-violente est étudiée (les États-Unis et le Royaume-Uni, par exemple) afin d'apprendre comment le domaine s'est développé et de connaître des conseils pour l'aider à se développer. Nous pouvons demander à nos professeurs et à la direction de nos universités de proposer des cours sur l'action non-violente (l'Institut Catholique de Paris offre actuellement un cours sur la Non-violence et la politique). Nous pouvons écrire des articles d'opinion sur la lutte non-violente en tant que stratégie politique pour mettre fin à l'oppression, afin de susciter l'intérêt du public pour ce sujet.
La société au prisme de la lutte non-violente
Le malentendu autour de la non-violence vient notamment des difficultés de terminologie : les gens utilisent la non-violence pour parler de la moralité et l'éthique, et en même temps la lutte non-violente comme stratégie politique. Les concepts distincts de la non-violence (une croyance) et de la lutte non-violente (un type de conflit) sont certainement les deux faces de la même médaille. Cependent, distinguer ces deux concepts nous donne plus de clarté sur la manière dont ces idées se déploient, qui se les approprie, les débats qui les traversent… toutes ces dynamiques nous permettent de comprendre une époque, une lutte, et la société de manière plus générale.
En dépit de la question terminologique, ce qui reste très clair, c'est que les jeunes montrent déjà un intérêt pour cette stratégie d'action (Youth for Climate, Fridays for Future...). La lutte non-violente a donc un avenir car les jeunes se l'approprient. Cette tendance—ainsi que la culture de la non-violence plus globalement, à mon avis—doit être soutenue à l'heure où la société est de plus en plus divisée.
Charlotte Secco is a research associate at the Institute for Nonviolent Conflict Resolution. Her topics of interest are nonviolent struggle and the climate movement. She served as a peace witness in Palestine and is involved in promoting both unarmed civilian peacebuilding and the study of nonviolent struggle and nonviolence in France.
Charlotte Secco est chercheuse associée à l’Institut de recherche sur la Résolution Non-violente des conflits. Ses sujets de prédilection sont la lutte non-violente et le mouvement climat. Elle a été témoin de paix à Jérusalem et a participé à faire connaitre l’intervention civile de paix, ainsi que l’étude de la lutte non-violente et la non-violence, en France.
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