by Abdou Khafor KandjiMarch 20, 2024
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Le mois dernier, une marche silencieuse organisée par AAR SUNU Élection a réuni des centaines de Sénégalais pour exiger la fixation de la date de l'élection présidentielle et la libération des prisonniers politiques. Quelques jours après cette manifestation populaire, les deux principales revendications ont été répondues. Les autorités Sénégalaises ont libéré les détenus politiques et fixés la date des élections à ce dimanche 24 mars.
Le mouvement non-violent Y en a Marre, participant clé de cette marche, n’est pas nouveau : il a été lancé au Sénégal le 18 janvier 2011. Il est connu pour son rôle clé en 2012 dans la deuxième alternance démocratique que le pays a connue. Cependent, les institutions du pays aujourd’hui sont plus que jamais affaiblies et la constitution du pays est constamment violée par l’exécutif. L’espace public est restreint avec l’interdiction systématique de manifestation surtout celles qui portent sur des questions d’ordre politique et/ou sociale. Depuis 2021, au moins 60 personnes sont mortes en marge des manifestations dans le pays, selon Amnesty International. Le mois dernier, 266 citoyens manifestant pacifiquement contre le report des élections par le président sénégalais ont été arrêtés, renseigne l’opposition. Ils s’ajoutent à des dizaines d’autres citoyens détenus depuis 2021 pour avoir exercé leur droit d’expression.
Ce recul autocratique au Sénégal conforte Y en a Marre dans sa position que le citoyen, et non le dirigeant, est le socle du changement social durable. Le mouvement articule ainsi une partie de son action sur le renforcement de l’engagement citoyen de la population à travers le programme TABAX ËLLEG (construire l’avenir). En effet, une transition d’exécutif ne garantit pas toujours des progrès en matière de droits humains et de justice pour le peuple d’un pays. C’est pourquoi Y en a Marre à ce stade priorise des actions de long terme, dont deux qui font l’objet de cet article.
Y en a Marre a développé en 2014 sa vision citoyenne pour aboutir à la construction durable et solide d’une citoyenneté active. Cette vision s'intitule Sur les chantiers du Nouveau Type de Sénégalais. Pour faciliter la matérialisation de cette vision, Y en a Marre a lancé cinq projets cohérents, participatifs et avant-gardistes axés sur la gouvernance locale, les cultures urbaines, la citoyenneté, le développement d’un média alternatif et la formation des jeunes à la communication citoyenne. Dénommé TABAX ËLLEG, l’ensemble de ces projets de Y en a Marre vise à amener tous les Sénégalais à prendre conscience de leur pouvoir citoyen et à l’exercer en maintenant une discipline non-violente.
Dans ce cadre, l’un des projets phares de Y en a Marre est le Citizen Mic, une compétition de rap de rue permettant aux artistes de faire entendre leurs voix sur les questions vitales pour la population sénégalaise. Au Sénégal comme partout en Afrique, le rap a l’avantage d’être un genre musical populaire auprès de jeunes et porteur d’un message d’engagement social fort.
La première édition du Citizen Mic en 2017 était un véritable succès, avec notamment près de 500 candidatures réceptionnées. Les 30 candidats sélectionnés avaient suivi une formation de trois jours sur l’écriture de textes engagés sur des questions de citoyenneté et de gouvernance avant de participer à un concours de rap. Y en a Marre vient de lancer la deuxième édition de Citizen Mic. Ce projet vise à familiariser la jeune génération de rappeurs avec l’art engagé afin de les encourager à s’approprier des préoccupations, des problèmes et des priorités des populations.
Fort de sa légitimité auprès de ses autres frères mouvements africains et diasporiques et avec le soutien des partenaires financiers externes, Y en a Marre a initié un ambitieux projet panafricain appelé Karibu (Bienvenue en swahili). C’est un projet de construction d’une maison d’accueil au Sénégal pour les défenseurs des droits humains africains persécutés, menacés, en situation de danger, et/ou contraints à l’exil. Ces individus vulnerables, mais dotés de pouvoir citoyaen, pourront se former, dialoguer et échanger sur les problématiques qui les touchent et trouver ensemble des solutions.
Les activistes souhaitant être accueillis dans la maison Karibu seront appelés à compléter un formulaire en ligne. La demande sera ensuite examinée par un comité d'alerte et de veille composé de militants présents dans plusieurs pays, notamment ceux où le risque pour les militants est avéré. En cas d’une menace imminente, le protocole de relocalisation sera beaucoup plus assoupli et accéléré.
La maison « Karibu » qui sera mise en place au mois d’avril 2024 réduira la distance entre les activistes en exil avec leur pays d’origine, grâce à l’hospitalité du contexte africain qui sera dorénavant conservée. Le fait de résider dans cette maison serait surtout une force et un avantage énorme pour parfaire leur stratégie militante et d’avoir une main mise sur leur exil.
Le recul autocratique au Sénégal nous rappelle que les changements des dirigeants ne garantissent toujours pas l’édification de la démocratie et de la bonne gouvernance dans un pays. De ce fait, il est important d’inscrire le combat pour la démocratie et la bonne gouvernance en Afrique dans une perspective de long terme et "du bas vers le haut " (from the bottom up, grassroots). Cela passe notamment par une conscientisation de la population afin qu’elle défende ses aspirations profondes pour une meilleure gouvernance, peu importe le dirigeant au pouvoir.
A travers son programme TABAX ËLLEG, Y en a Marre dirige ses efforts vers l’émergence d’un nouveau type de citoyen capable de porter et défendre le projet de transformation sociale. La maison Karibu reflète la même vision, en apportant notamment protection et sécurité à ceux qui sont persécutés en raison de leur combat pour le changement dans leurs pays respectifs. C’est à travers ce type d'action constructive qu’émergera au Sénégal comme partout en Afrique, une société de justice, d’équité, de droit, de paix et de progrès pour toutes et pour tous.
Malgré sa constance dans la lutte, Y en a Marre doit encore faire face à de nombreux défis. Le plus urgent, et qui concerne presque tous les mouvements citoyens en Afrique, est l'impérieuse nécessité de repenser nos mouvements pour les adapter aux dynamiques socio-politiques, en évolution constante. Un autre défi de court terme est le retrait des cartes d'électeurs et la participation massive des citoyens sénégalais aux élections présidentielles prévues ce dimanche. Pour relever ce défi, Y en a Marre a lancé un vaste programme national de sensibilisation en début de semaine.
Abdou Khafor Kandji est un activiste et membre de la coordination du mouvement citoyen Sénégalais, Y en a Marre. Il suit un master en suivi et évaluation des projets, programmes et politiques au Centre Africain d’Etudes Supérieur en Gestion (Cesag).
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