by Maciej BartkowskiOctober 09, 2020
Ceci est une traduction en français de l'article de Maciej Bartkowski, "For Members of Security Forces: A Guide to Supporting Pro-Democracy Movements" publié le 29 septembre 2020 (ici) (traduction par JPD Systems). L'article est également disponible en arabe (ici). espagnol (ici), thai (ici), chinois (ici), et russe (ici).
Quand des citoyens s’engagent dans la résistance civile pour défendre la démocratie et lutter contre un régime autoritaire, comment les forces de l’ordre, les membres de la sécurité intérieure, les services de renseignement et l’armée du pays peuvent les aider?
En Biélorussie, certains membres des forces de sécurité viennent de jeter publiquement leurs cartes d’identité militaires et leurs uniformes à la poubelle pour protester contre le dictateur au pouvoir depuis plusieurs décennies.
Aux États-Unis, certains généraux envisageraient de démissionner si leur commandant en chef actuel rejetait les résultats électoraux et ordonnait aux soldats de réprimer les manifestations de rue.
Ces deux pays sont très différents, mais chacun montre à sa manière que les soulèvements populaires influencent significativement les attitudes et les comportements des forces de sécurité. Des recherches quantitatives montrent en fait que dans les soulèvements non violents réussis contre des autocrates, on observe plus de 52 % de défections des forces de sécurité. Plus important encore, lorsque ces défections se produisent, les mouvements non violents ont 46 fois plus de chances de réussir.
Supposons que vous êtes un membre de la police, des forces de sécurité intérieure, des services de renseignement ou de l’armée. Un dirigeant aux commandes vous ordonne de réprimer un mouvement pro-démocratie et son peuple non armé, qui vont protester dans les rues contre lui. Vous êtes en désaccord avec ce que le dirigeant et ses partisans attendent de vous. Au fond de vous, vous savez que si vous obéissez, vous ne seriez plus au service de votre pays et de son peuple. Vous recherchez des idées sur la manière de retarder, saboter ou vous opposer aux ordres de ce dirigeant à l’encontre du mouvement non violent.
Vous n’êtes pas seuls. Comme l’ont démontré de nombreux chercheurs, journalistes et activistes au cours du siècle dernier, des forces de sécurité ont pris des initiatives courageuses et souvent discrètes pour soutenir les mouvements pro-démocratie — se positionnant ainsi du bon côté de l’Histoire. Voici une liste de ces initiatives.
À titre d’avertissement général, un membre des forces de sécurité doit faire preuve de discernement dans l’application des mesures suivantes, en s’appuyant idéalement sur un groupe soudé et fiable et/ou des alliés de l’extérieur, le cas échéant, pour renforcer les niveaux de sécurité et amplifier les effets de ses actions individuelles.
Si vous choisissez cette voie, vos options sont les suivantes :
Construire un réseau de résistance de l’intérieur et avec des groupes de l’extérieur :
• Agissez seul, ou mieux encore, trouvez d’autres personnes comme vous à l’intérieur du système, rapprochez-vous d’eux et commencer à créer un réseau de résistance avec des membres des services qui partagent vos opinions.
• Sondez vos collègues de façon informelle sur ce qu’ils pensent eux-mêmes et leurs familles du dirigeant et de ses ordres contre le mouvement. Si vous sentez un dilemme et une hésitation, demandez-leur de travailler avec vous de l’intérieur.
• Efforcez-vous d’identifier des participants au mouvement dont un (des) membre(s) de la famille sert(vent) dans les forces de sécurité (éventuellement en vous appuyant sur des alliés de l’extérieur). Contactez ces membres pour évaluer leur loyauté envers le dirigeant et, si l’opportunité se présente, construisez un réseau de résistance transversal dans les divisions et les services.
• Entrez en contact avec des vétérans retraités de vos services dont vous savez qu’ils soutiennent le mouvement ou son programme.
• Établissez un contact informel avec des groupes légitimes nationaux et/ou internationaux pro-démocratie et des droits de l’homme.
• Retardez l’exécution des ordres et des actions contre le mouvement par une grève du zèle : suivez scrupuleusement et assidûment toutes les réglementations et procédures de votre division ou service.
• Manifestez votre manque de connaissances ou de compétences si vous recevez l’ordre de mener des actions contre le mouvement. En fait, si vos supérieurs ou vos collègues vous demandent de l’aide pour des actions contre le mouvement, prétendez que :
• Faites preuve d’incompétence involontaire et « comprenez de travers » les ordres anti-mouvement. Réalisez des actions qui se révèlent être des « erreurs accidentelles » parce qu’elles ne portent pas préjudice au mouvement ou qu’en fait, elles l’aident.
• Prétendez que vous êtes malade lorsque vos supérieurs vous ordonnent d’agir contre le mouvement.
• Prenez des vacances cumulées et bien méritées si vos supérieurs vous donnent des ordres anti-mouvement.
• Partagez avec vos collègues des blagues sur le dirigeant ou vos supérieurs, en prétendant que vous avez entendu des rumeurs. Vous savez que le pire cauchemar d’un homme fort, c’est que l’on se moque de lui au lieu de le craindre ou de l’aduler. Un commentaire apparemment ambigu — « Les plaisanteries sur notre cher dirigeant ne sont pas vraiment drôles... Une seule personne en rit » — peut préparer le terrain.
• Posez des questions subtiles en demandant si vous-mêmes et vos collègues êtes du bon côté de l’Histoire en restant loyaux envers le dirigeant et en continuant à le servir.
• Semez le doute sur la capacité du dirigeant et de vos supérieurs à exercer un contrôle efficace sur le pays face au manque de coopération généralisé du public, et sur la viabilité d’un tel régime.
• Contribuez à ébranler la loyauté de vos collègues envers le dirigeant au profit de la Constitution et/ou du mouvement et de sa cause.
• Démasquez les membres des services qui exécutent avec diligence et enthousiasme les ordres contre le mouvement et rompez leur anonymat. Utilisez différents canaux pour transmettre au mouvement des informations sur ces individus afin que le mouvement puisse également dénoncer ces individus démasqués.
• Soulignez que le mouvement non violent est composé de personnes non armées qui doivent être protégées et non réprimées. Si des violences se produisent en marge du mouvement, sachez que la vaste majorité des personnes dans le mouvement restent non violentes.
• Expliquez que le mouvement non violent, même engagé dans des manifestations non violentes qui immobilisent un pays, ouvre la porte à de véritables négociations sur une transition pacifique et des réformes démocratiques.
• Aidez vos collègues à faire la distinction entre la désinformation/la propagande sur le mouvement et la vérité. Référez-vous à des sources d’information légitimes et indépendantes et, si elles sont accessibles, aux données et informations brutes collectées en interne (souvent confidentielles) sur le mouvement et ses actions, de façon à présenter des faits non déformés à vos collègues.
• Protégez le mieux possible les subordonnés qui sont des sympathisants du mouvement et qui soutiennent les réformes démocratiques.
• Documentez autant que possible, et sans compromettre votre sécurité, tous les ordres et les mesures contre le mouvement, en particulier lorsqu’ils violent les droits de l’homme ou sont illégaux.
• Transmettez les informations utiles au mouvement par l’intermédiaire de vétérans sympathisants de vos services ou directement.
• Indiquez au mouvement quand et dans quelles circonstances vos supérieurs veulent que vous utilisiez la force contre les manifestants.
• Faites savoir au mouvement si, où et quand, des agents provocateurs veulent infiltrer le mouvement et/ou ses actions.
• Demandez à vos supérieurs des ordres écrits et signés si ces ordres visent à nuire à des dissidents ou des manifestants non violents, et attendez de les recevoir avant d’agir.
• Examinez minutieusement les ordres d’un dirigeant ou de vos supérieurs et leur conformité à la Constitution et aux droits fondamentaux qu’elle protège, et demandez des explications par écrit à vos supérieurs sur la façon dont leurs ordres sont conformes à ces principes.
• Soumettez (ou demandez à vos alliés de soumettre) à des tribunaux les ordres envoyés par le dirigeant ou des supérieurs contre le mouvement afin de déterminer leur conformité aux lois existantes, y compris à la Constitution, avant de les exécuter. Cela peut vous faire gagner du temps ainsi qu’au mouvement.
• Partagez avec le mouvement des suggestions sur des actions et des comportements spécifiques susceptibles de faire basculer l’opinion de vos collègues sur le dirigeant, d’ébranler leur loyauté envers lui et d’engendrer une attitude positive vis-à-vis du mouvement.
• Insistez auprès du mouvement sur le fait que sa discipline non violente est essentielle pour aligner d’autres membres de vos services de votre côté. Il est difficile, voire impossible, de convaincre vos collègues de prendre le parti du mouvement si les activistes menacent d’utiliser la violence contre eux.
• Si vos partisans internes le permettent, organisez une grève ou des occupations de lieux. Présentez des revendications à la fois économiques et politiques, notamment de meilleures conditions de travail, et faites appel à vos familles et vos concitoyens pour qu’ils se déplacent, apportent de la nourriture et prennent part à l’action afin de soutenir et protéger les participants. Il est probable que le dirigeant vous accusera de mutinerie, mais il pourrait déjà avoir quitté le pouvoir avant que ses sbires ou lui-même puissent vous nuire.
• Si le dirigeant ou vos supérieurs découvrent vos actions et ont l’intention de vous arrêter pour des motifs politiques, envisagez d’exprimer publiquement votre opposition et de chercher la protection d’organisations de défense des droits de l’homme, d’alliés politiques, voire d’ambassadeurs ou d’ambassades de démocraties présentes dans votre pays.
Si vous choisissez cette voie, vos options sont les suivantes :
• Rejoignez ou créez un groupe de vétérans sympathisants du mouvement et faites savoir à vos anciens collègues encore actifs qu’ils peuvent avoir confiance en vous et vous contacter s’ils souhaitent transmettre confidentiellement des informations susceptibles d’aider le mouvement.
• Coordonnez votre démission avec d’autres collègues partageant les mêmes opinions et démissionnez en masse pour créer un impact plus fort.
• Organisez une « démission bruyante », notamment une annonce vidéo condamnant les actions du dirigeant et encourageant vos collègues à vous emboîter le pas ou à rester dans le système tout en aidant le mouvement. Vous pouvez alors leur donner des conseils, en privé ou en public, sur la façon dont ils peuvent vous aider, notamment en partageant avec eux les informations de ce guide.
• Réunissez toutes les informations susceptibles d’aider le mouvement avant de démissionner, et juste après votre démission, transmettez-les au mouvement.
Si vous choisissez cette voie, vos options sont les suivantes :
• Annoncez que vous-même et nombre de vos collègues et/ou subordonnés allez rejoindre le mouvement et que vous prévoyez de vous rendre sur les lieux de manifestations en uniforme, mais non armé(e) dans le but de protéger physiquement les activistes. Vous pouvez former un bouclier humain, pour défendre les manifestants contre la violence du dirigeant et de ses partisans.
• Rejoignez une action du mouvement en uniforme, mais non armé(e), et demandez au mouvement de vous laisser monter sur scène pour parler aux autres participants de vous et d’autres personnes du système favorables aux idéaux du mouvement.
• Devenez un activiste non violent dans votre communauté pour appuyer les actions et les objectifs du mouvement.
• Utilisez les médias sociaux et les médias grand public disponibles pour afficher publiquement les raisons pour lesquelles vous avez abandonné le service et rejoint le mouvement.
• Lancez des appels à vos anciens collègues encore actifs pour qu’ils abandonnent le service et vous rejoignent dans le mouvement, ou encore qu’ils restent dans le système tout en résistant de l’intérieur. Vous pouvez leur donner des conseils sur la façon dont ils peuvent aider, y compris en partageant le contenu de ce guide.
• Nommez et pointez du doigt ceux de vos anciens collègues qui ont utilisé la violence contre des manifestants non armés.
Que vous souteniez déjà un mouvement ou hésitiez encore à vous engager, ne vous leurrez pas : tôt ou tard, on peut vous demander d’exécuter des ordres que vous estimerez injustes ou illégaux. Des personnes comme vous, qui ont servi en d’autres temps, dans d’autres pays, et ont été confrontées à un dilemme similaire, ont souvent entrepris des actions proposées dans ce guide, malgré les risques encourus pour eux-mêmes et leurs proches.
Réfléchissez-y bien, préparez-vous et évaluez vos options à l’avance. Quand on veut, on peut.
Transmettez ce guide à tous ceux et celles qui ont besoin de savoir.
Maciej Bartkowski
Le Dr Maciej Bartkowski est Conseiller principal à l’ICNC. Il travaille sur des programmes académiques pour soutenir l’enseignement, la recherche et les études sur la résistance civile. Il édite les séries de Monographies et Rapports spéciaux de l’ICNC, et a publié l’ouvrage Recovering Nonviolent History.
Dr. Maciej Bartkowski is a Senior Advisor to ICNC. He works on academic programs to support teaching, research and study on civil resistance. He is a series editor of the ICNC Monographs and ICNC Special Reports, and book editor of Recovering Nonviolent History. You can follow him @macbartkow